lana caprina

Thursday, February 23, 2006

Começos... (41)

Une mouche maigre tournait, depuis un moment, dans l’autocar aux glaces pourtant relevées. Insolite, elle allait et venait sans bruit, d’un vol exténué. Janine la perdit de vue, puis la vit atterrir sur la main immobile de son mari. Il faisait froid. La mouche frissonnait à chaque rafale du vent sableux qui crissait contre les vitres. Dans la lumière rare du matin d’hiver, à grand bruit de tôles et d’essieux, le véhicule roulait, tanguait, avançait à peine. Janine regarda son mari. Des épis de cheveux grissonnants plantés bas sur un front serré, le nez large, la bouche irrégulière, Marcel avait l’air d’un faune boudeur. A chaque défoncement de la chaussé, elle le sentait sursauter contre elle. Puis il laissait retomber son torse pesant sur ses jambes écartées, le regard fixe, inerte de nouveau, et absent. Seules, ses grosses mains imberbes, rendues plus courtes encore par la flanelle grise Qui dépassait les manches de chemise et couvrait les poignets, semblaient en action. Elles serraient si fortement une petite valise de toile, placée ente ses genoux, qu’elles ne paraissaient pas sentir la course hésitante de la mouche.


ALBERT CAMUS, “La femme adultère”, L’exil et le royaume [1957]

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