lana caprina

Monday, April 11, 2005

A inutilidade do que é belo

Rien de ce qui est beau n'est indispensable à la vie. - On supprimerait les fleurs, le monde n'en souffrirait pas matériellement; qui voudrait cependant qu'il n'y eût plus de fleurs? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu'aux roses, et je crois qu'il n'y a qu'un utilitaire au monde capable d'arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux.
A quoi sert la beauté des femmes? Pourvu qu'une femme soit médicalement bien conformée, en état de faire des enfants, elle sera toujours assez bonne pour des économistes.
A quoi bon la musique? à quoi bon la peinture? Qui avait la folie de préferer Mozart à M. Carrel, et Michel-Ange à l'inventeur de la moutarde blanche?
Il n'y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. - L'endroit le plus utile d'une maison, ce sont les latrines.
Moi, n'en déplaise à ces messieurs, je suis de ceux pour qui le superflu est le nécessaire, - et j'aime mieux les choses et les gens en raison inverse des services qu'ils me rendent. Je préfère à certain vase qui me sert un vase chinois, semé de dragons et de mandarins, qui ne me sert pas du tout, et celui de mes talents que j'estime le plus est de ne pas deviner les logogriphes et les charades. Je renoncerais très joyeusement à mes droits de Français et de citoyen pour voir un tableau authentique de Raphaël, ou une belle femme nue: - la princesse Borghèse, par exemple, quand elle a posé pour Canova, ou la Julia Grisi quand elle entre au bain. (...)
Au lieu de faire un prix Montyon pour la récompense de la vertu, j'aimerais mieux donner, comme Sardanapale, ce grand philosophe que l'on a si mal compris, une fort prime à celui qui inventerait un nouveau plaisir; car la jouissance me paraît le butde la vie, et la seule chose utile au monde. Dieu l'a voulu ainsi, lui qui a fait les femmes, les parfums, la lumière, les belles fleurs, les bons vins, les chevaux fringants, les levrettes et les chats angoras; lui qui n'a pas dit à ses anges: Ayez de la vertu, mais, Ayez de l'amour, et qui nous a donné une bouche plus sensible que le reste de la peau pour embrasser les femmes, des yeux levés en haut pour voir la lumière, un odorat subtil pour respirer l'âme des fleurs, des cuisses nerveuses pour serrer les flancs des étalons, et voler aussi vite que la pensée sans chemin de fer ni chaudière à vapeur, des mains délicates pour les passer sur la tête longue des levrettes, sur le dos veloutés des chats, et sur l'épaule polie des créatures peu vertueuses, et qui, enfin, n'a accordé qu'à nous seuls ce triple et glorieux privilège de boir sans avoir soif, de battre le briquet, et de faire l'amour en toutes saisons, ce qui nous distingue de la brute beaucoup plus que l'usage de lire des journaux et de fabriquer des chartes.

THÉOPHILE GAUTIER, do Prefácio a Mademoiselle de Maupin [1834]

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